On ne peut pas comprendre l’Etat français si l’on n’a pas en tête le fait que l’Etat s’est constitué grâce à l’administration. Depuis la monarchie, l’administration a construit et produit son propre droit à travers la centralisation du royaume.
Les fondations :
L’idée est ici de retracer le processus en allant en avant de la période révolutionnaire. On présente souvent le droit administratif comme né avec les révolutionnaires (et Montesquieu auparavant). Or, dès le XIXème siècle, des juristes comme Dareste, expliquent en quoi le droit administratif trouve ses racines dans l’Ancien droit. Il faut avoir à l’esprit que l’Etat a une place prééminente par rapport aux autorités secondaires, aux corps intermédiaires. A cette organisation politique s’ajoute une prééminence géographique.
A- L’Ancien Régime :
Sous l’Ancien Régime on parle de confusion des pouvoirs. La souveraineté réside dans la seule personne du roi. C’est le principe même de la monarchie. Or le roi a été amené à déléguer son pouvoir à d’autres, notamment aux Parlements. Il délègue ainsi certaines de ses fonctions, comme l’enregistrement des ordonnances royales. Sur le plan juridique, il demeure titulaire de l’exercice de ses fonctions. Pratiquement, l’histoire montre néanmoins que les Parlements ont acquis une certaine puissance. Sous Louis XIII, Richelieu jette les bases de l’unité nationale et de l’administration centrale. Deux institutions constituent un instrument unique de gouvernement aux mains du roi : Le conseil du roi, qui a pour fonction d’inspirer mais aussi de rédiger les décisions. Les intendants, répartis sur l’ensemble du territoire. Leur vocation est de propager l’action du pouvoir central sur le territoire. Ils exercent leurs compétences sur des territoires (les généralités). Le pouvoir royal veut briser les oppositions locales. Les pouvoirs délégués aux intendants sont croissants et vont progressivement être considérés comme des concurrents à la puissance des Parlements. C’est au travers de ce double ressort que commence à fonctionner en France la centralisation administrative. Parallèlement, un embryon de justice administrative se développe. Sur le terrain, la noblesse et les Parlements se sont constitués en opposition des intendants. Cela a débouché sur un conflit politique. Les Parlements refusent d’enregistrer les ordonnances royales. En réponse, le roi prend des édits qui rappellent sa puissance. Le plus connu de ces édits restent l’édit de Saint-Germain pris en 1641, qui limite le droit de remontrance des Parlements. Par le biais de cet édit, le roi rappelle que les Parlements ne sont établis que pour rendre la justice du roi et sont incompétents pour les autres affaires. « Nous avons déclaré que notre Parlement de Paris et toutes nos autres cours n’ont été établies que pour rendre la justice à nos sujets ». Le conseil du roi est divisé en formations, il y a plusieurs organes ; mais le roi seul exerce la souveraineté.
B- La période révolutionnaire :
1- Les raisons structurelles
Le principe de séparation des pouvoirs et des autorités administrative et judiciaires est proclamé. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame son attachement à la loi et à la suprématie de la loi. Elle doit être respectée par tous et par le pouvoir exécutif. On assiste à un profond changement de principes : l’Etat ne tient pas le pouvoir de dieu, mais de la Nation. L’administration doit se soumettre à la loi qui exprime la volonté nationale.
L’environnement dans lequel va s’insérer la justice est affecté. Dans le prolongement du principe de séparation des pouvoirs vont être adoptés un certain nombre de textes, notamment la loi des 16 et 14 août 1790 et un décret du 16 fructidor III. Ces textes ont pour conséquence l’apparition des juridictions administratives actuelles.
2- les raisons conjoncturelles :
Le principe de séparation des pouvoirs est proclamé par les révolutionnaires et appliqué en tenant compte des traditions françaises. Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires serait une conséquence du principe de séparation des pouvoirs. Cependant l’on constate que cela n’est pas le cas dans tous les pays. On ne peut donc pas faire abstraction de l’histoire. La théorie à l’origine de cela était qu’il existe des zones limitrophes entre les diverses fonctions. On part de l’idée que « juger l’administration, c’est encore administrer ». Un certain nombre de traditions vont déterminer à quel organe va être confiée la mission de juger l’administration. Tout d’abord, les révolutionnaires désiraient amoindrir le rôle de la justice (en souvenir de la puissance des Parlements). D’autre part, les révolutionnaires poursuivent une œuvre entamée sous l’Ancien Régime de décentralisation de l’administration. C’est pour cette raison que va naître le département. Malgré cela, ils n’avaient pas encore déterminé à qui incomberait le rôle de juger l’administration. Cela ne posait pas de problèmes car les fonctionnaires étaient élus. En pratique, l’ordre devait se juger lui-même. Le but était d’empêcher le juge judiciaire de se mêler de l’administration. Or, la tradition va conduire à séparer l’administration de la justice administrative. Le Conseil constitutionnel a par la suite confirmé cette pratique issue de la tradition. L’interdiction faite aux tribunaux judiciaires de trancher les litiges concernant l’administration va conduire à la création d’un droit spécifique.
C- Le consulat et l’Empire
Cette période du consulat et de l’Empire est très importante puisqu’elle voit se constituer une justice administrative. Durant cette période, on va maintenir la règle fondamentale de la séparation des pouvoir et l’application qui en avait été faite sous les assemblées révolutionnaires : cette conception est désormais devenue la conception française de séparation des pouvoirs. On conserve l’administrateur juge, mais on crée des organes spécialisés dans le jugement de l’administration. Deux corps apparaissent, ainsi que des structures proches de ce qui existait sous l’Ancien Régime dans sa période centralisatrice. On met en place des conseils de préfecture, présidés par le préfet (28 pluviôse an VIII) et qui relèvent de l’administration centrale. Le préfet est seul chargé de l’administration dans le département. Le conseil de préfecture a une fonction juridictionnelle en ce qu’il se voit attribuer le contentieux des travaux publics. Les conseils de préfecture ont une compétence résultant du transfert de compétence des administrateurs sous la Révolution. Ils sont maintenant nommés par le pouvoir central. L’article 52 de la constitution du 22 frimaire an VIII crée un Conseil d’Etat, chargé de la production des normes et qui va connaître du litige administratif. Ce système consacre le principe de « l’administrateur juge », mais aussi de la spécialisation des fonctions au sein de l’administration. Dans ce système, l’administration est juge et partie. On peut contester une décision d’un ministre devant le chef de l’Etat qui siège en conseil d’Etat. Il est sensé prononcer lui-même la décision. Depuis l’an VIII, le chef de l’Etat suit l’avis proposé par le Conseil d’Etat. Ce système d’aide à la décision est un élément de ce qu’on appelle la justice retenue. A partir de 1806, on va instaurer au sein du Conseil d’Etat une commission vouée au règlement des conflits. Ce système de la justice retenue va fonctionner jusqu’en 1872, mais va souffrir jusqu’alors de nombreuses contestations. Cette période va voir se développer la procédure juridictionnelle devant le Conseil d’Etat. On va alors développer des mécanismes proches de ceux du système judiciaire. La juridiction administrative naît et grandit dans l’administration.
D- La loi du 24 mai 1872
Elle consacre l’existence du Conseil d’Etat. On maintient le Conseil d’Etat et abandonne la justice retenue. On passe alors au système de la justice déléguée : le Conseil d’Etat dispose d’un pouvoir souverain de juridiction, qu’il détient par délégation du peuple français. Cela ne résout pas une question : les réclamations sont adressées à l’administrateur, cela remonte au ministre qui s’adresse ensuite au Conseil d’Etat. En 1889, le Conseil d’Etat va admettre pour la première fois de connaître directement une réclamation adressée par un individu. Il s’agit de l’arrêt CE, 13 décembre 1889, Cadot, R1848. Dans le même temps, on met fin au système de l’administrateur juge, c’est-à-dire du ministre-juge. Cela va permettre la soumission de l’administration. Par la suite le Conseil d’Etat se développe au sein de l’administration. Les républicains, lorsqu’ils accèdent au pouvoir, décident d’user de la puissance publique pour réaliser leur programme.